Hunteed Le Blog | Tout savoir sur le recrutement digital

Être… ou ne pas être lié par un contrat de travail

Rédigé par L'équipe Hunteed | 06 décembre 2016

Par Gwenaëlle Artur, avocate associée chez Aston

Le droit du travail pose un cadre protecteur pour les travailleurs salariés. Les nouvelles formes de collaboration ou de rémunération, comme l’auto-entrepreneur ou la micro-entrepreneur mais pas seulement, viennent chatouiller cet épais Code du travail. L’objectif d’une demande de requalification en contrat de travail, c’est de prétendre aux dispositions protectrices réservées aux salariés. Parfois, c’est jugé comme légitime, parfois non.

Le sujet est discrètement, mais sûrement sous les feux de l’actualité juridique avec des affaires emblématiques qui remettent les points sur les i, tant pour les commanditaires qui désireux de fuir leur responsabilité d’employeur, voire de frauder volontairement, que pour des professionnels en réalité autonomes en quête d’une protection qui ne correspond pas à leur contexte de travail. La traque au travail dissimulé est aujourd’hui sérieusement menée par la Cour de cassation qui sanctionne et condamne les entreprises tentées de contourner le droit du travail et le paiement des charges sociales.

 

La requalification en contrat de travail à l’heure de l’auto-entrepreneur

 

Une définition s’impose. Le contrat de travail se définit comme le contrat par lequel une partie « le salarié » s’engage à réaliser un travail, moyennant rémunération pour le compte et sous la direction d’une autre partie « l’employeur ». Sur le papier, dans le Code du travail (1), cela paraît clair. Sur le terrain, c’est plus flou.

L’habit ne fait pas le contrat de travail. La Cour de cassation est sans appel dans une jurisprudence datant de 1983 (2). Clamer par l’une ou même les deux parties qu’il ne s’agit pas de salariat ou encore tenter de se réfugier derrière le nom donné à une convention ne dit rien de la nature de la relation de travail. Ce sont les conditions de travail, les vraies, qui permettent de statuer sur la question.

Donner des ordres et les contrôler, telle est la clé. Dès lors qu’un donneur d’ordre a le pouvoir de donner des ordres et des directives sur le travail, de contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements, la Cour de cassation estime, depuis une jurisprudence de 1996, qu’il y a contrat de travail (3). C’est cette subordination directe qui est au centre de toutes les attentions.

Le juge mène l’enquête. Pour apprécier s’il y a contrat de travail ou non, même si ce dernier n’est pas écrit, c’est la méthode du faisceau d’indices qui est utilisée. Il n’existe pas de liste exhaustive de critères à remplir, mais c’est une collection de faits, qu’il faut pouvoir prouver, qui fait foi : exclusivité du travail, absence d’autonomie, soumission des contrôles, détermination unilatérale des horaires de travail et de la rémunération, utilisation du matériel fourni par l’entreprise, etc.

Le cas « Île de la tentation ». La démarche intentée par des participants de l’émission « l’Île de la tentation » (saison 2003) est emblématique d’une demande de reconnaissance du statut de travailleur salarié. Concrètement, ils étaient obligés de prendre part aux différentes activités et réunions, et de suivre les règles du programme définies unilatéralement par le producteur. Qui plus est, certaines scènes étaient répétées pour valoriser des moments essentiels et les heures de réveil et de sommeil étaient fixées par la production. Le règlement leur imposait par ailleurs une disponibilité permanente, avec interdiction de sortir du site et de communiquer avec l’extérieur, et stipulait que toute infraction aux obligations contractuelles pourrait être sanctionnée par le renvoi. Aucune hésitation pour le juge, le règlement du jeu est requalifié en contrat de travail dans une jurisprudence de 2009 (4), contextualisée dans un communiqué dédié de la Cour de cassation.

L’auto-entrepreneuriat met les pieds dans le plat. En 2008, le statut d’auto-entrepreneur fait son apparition dans la loi de modernisation de l’économie (5). Ce statut d’entrepreneur individuel qui offre un régime fiscal unique et simplifié est en cours de rapprochement avec celui de micro-entrepreneur qui est devenu le terme officiel au 1er janvier 2016, comme l’explique les articles de presse relevés ci-dessous. Pour moult auteurs et spécialistes du droit, la méfiance est de mise. L’utilisation, quand elle est dévoyée, de ces régimes crée un substitut au contrat de travail, avec pour objectif la non application des dispositions du droit du travail (et les contraintes s’y attachant).

 

La parole du juge en 5 actes

 

Qui impose de fortes contraintes doit endosser le rôle de l’employeur

Un auto-entrepreneur exerce une activité commerciale pour une société. Cette dernière est placée en liquidation judiciaire et le professionnel saisit le juge pour faire établir que la collaboration relevait du contrat de travail. Les faits ? Il a été constaté un respect d’un planning quotidien précis établi par la société, l’obligation d’assister à des entretiens individuels et aux réunions commerciales, des objectifs de chiffre d’affaires annuel à respecter et l’obligation de passer les ventes selon une procédure déterminée sous peine qu’elles soient refusées. Après un long chassé-croisé entre plusieurs juridictions, la Cour de cassation penche en faveur du professionnel et reconnaît, en 2015, l’existence du contrat de travail (6).